À l’heure où les artistes se fédèrent et rejoignent le mouvement social, leur ralliement ne laisse pas d’étonner : en quoi sont-ils·elles concerné·es par les réformes en cours ? Réuni·es derrière la bannière Art en grève, certain·es d’entre nous ont déjà commencé à répondre : conditions de travail dégradées, droits sociaux maigrelets, marchandisation de la culture, mécénat partout, justice nulle part, etc, les raisons de se mobiliser sont légion. Mais il est un point sur lequel il faut s’attarder : comme tou·tes les travailleur·euses, nous sommes directement visé·es par le projet de réforme des retraites.
La retraite par points des artistes existe déjà .
Le sujet ne fait pas envie ? Pas de panique : la retraite n’est pas une question technique mais politique. Il suffit d’avaler les acronymes avec un peu d’eau, le reste descend tout seul.
Certain·es d’entre vous ont eu affaire à l’IRCEC, l’organisme qui gère la retraite complémentaire des artistes-auteurs[1](il s’occupe aussi des deux complémentaires spécifiques aux auteurs et compositeurs dramatiques[2]et aux auteurs et compositeurs d’œuvres musicales[3]).
Mais saviez-vous que les régimes gérés par l’IRCEC étaient déjà des systèmes par points, tout comme l’AGIRC-ARRCO, la complémentaire des salarié·es du privé ?
Aujourd’hui en France, 75 % des pensions sont servies par des régimes dits en annuités et 25 % par des régimes dits par points. C’est ce modèle minoritaire que le gouvernement veut généraliser.
Pourquoi ce mélange des genres ?
Pour comprendre la coexistence des deux systèmes, il faut revenir en 1945. Sous l’impulsion du Conseil national de la Résistance, un vaste plan de sécurité sociale est engagé. Les communistes militent pour un régime général géré par les représentant·es des salarié·es mais l’idée ne plaît pas à tout le monde. Le MRP (parti démocrate-chrétien), et dans une certaine mesure la SFIO (parti socialiste), ne voient pas d’un très bon œil cette gigantesque caisse qui va se développer à côté de l’État sous gestion syndicale. Alors ça ferraille sec. Les débats sont durs et voilà ce qui en ressort : le projet de régime général de la Sécurité sociale est adopté mais ses opposants obtiennent le maintien de l’ancien plafond d’affiliation aux Assurances sociales, ce qui fait qu’au-delà d’un certain niveau de salaire, il n’y a ni cotisations ni droits ouverts.
Cette mesure restreint le champ d’application du régime général (qui du coup ne sera pas vraiment général) et laisse une place pour un régime complémentaire.
C’est là que le patronat sort du bois. Il s’appuie sur la Fédération des cadres, puis sur la jeune FO, qui joue le rôle tenu aujourd’hui par la CFDT, pour créer l’AGIRC (Association générale des institutions de retraite complémentaire des cadres).
L’AGIRC, c’est pas le même délire que la Sécu. Déjà, c’est une gestion paritaire, donc plutôt patronale, alors que le régime général est sous démocratie ouvrière jusqu’en 1967. Et puis c’est très techno. Elle est là pour gérer un stock de cotisations, pas pour faire du bien aux gens.
Et la manœuvre ne s’arrête pas là : en 1961 est créée l’ARRCO (Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés), qui impose une complémentaire à tou·tes les salarié·es du privé.
Le vers est dans le fruit.
Vous allez peut-être me dire : d’accord, deux camps politiques se sont bastonnés pour avoir chacun son système. D’un côté le régime général, de l’autre les complémentaires. So what ?Et puis d’ailleurs…
…points ou pas points, ça change quoi ?
Ça change la définition de la retraite, tout simplement ! Dans le régime général, qui utilise un système par annuité, on prend les 25 meilleures années de votre carrière, on calcule un salaire de référence et on applique un taux de remplacement.
Il faut savoir que c’est déjà un recul. Jusqu’en 1993, on s’appuyait sur les 10 meilleures années. Le but était de se rapprocher de la pension des fonctionnaires, où les 6 meilleurs mois servent de référence.
Mais en gros, le deal du régime général est simple : on prend votre meilleur salaire et on vous le verse jusqu’à la mort. Vous avez bien lu : une fois que vous avez validé vos annuités, la Sécu vous verse une salaire à vie, sans condition. Vous n’êtes plus payé·e par un employeur ou par un commanditaire, mais par une caisse de salaire socialisé. Subversif ? Oui.
Dans les régimes par points que Macron veut généraliser, c’est différent. Tout au long de votre carrière, vous cumulez des points en fonction de vos performances sur le marché du travail ou sur le marché de biens et services (et pour les régimes gérés par l’IRCEC, sur le marché de l’édition, le marché de l’art, le marché musical, etc). Une fois l’âge légal atteint, si et seulement si vous avez une carrière complète, on prend tout votre passif, y compris vos périodes de maternité/paternité, de maladies longue durée, de bas revenus, de chômage et d’années sabbatiques. On regarde combien de points vous avez récolté, on multiplie par la valeur du point (fixée par l’État en fonction de la conjoncture : vous imaginez bien que ça risque de bouger et pas dans le bon sens !) et on appuie sur le bouton pour voir si vous méritez une bonne pension.
Vous avez bien bossé tout au long de votre vie ? Non ?… Tant pis pour vous !
En résumé, la retraite du régime général, c’est la poursuite du meilleur salaire après l’emploi, alors que la retraite des complémentaires et de la réforme Macron, c’est le différé de vos cotisations passées.
D’un côté, le droit au salaire pour les retraité·es ; de l’autre, une survivance de l’épargne à l’ancienne.
Et les artistes dans tout ça ?
Tout pareil, vu que la Sécu des artistes-auteurs est adossée au régime général. D’un côté c’est chouette, parce que ça ouvre des droits salariaux à des travailleurs·euses indépendant·es ; de l’autre beaucoup moins, puisqu’à côté de la retraite de base (du régime général), on se tape une complémentaire d’inspiration patronale à la gestion bien techno.
Vous l’avez compris, on parle de l’IRCEC (Institution de retraite complémentaire de l'enseignement et de la création), une retraite par points qui anticipe la réforme Macron.
Et comme plusieurs camarades ont fait part de leurs démêlés avec l’IRCEC, qui a adopté une politique de recouvrement ultra-agressive (à coups d’huissiers vénères), on a écrit un projet de réforme basique, pas du tout technique. On ne va pas se contenter de refuser la généralisation de la retraite par points ; on va lui couper l’herbe sous le pied !
Proposition tranquille (niveau facile)
1) suppression de l’IRCEC ;
2) basculement des cotisations vers le régime de base ;
3) assouplissement des critères de validation du trimestre : à la louche, disons 300 SMIC horaires au lieu de 600 pour valider 4 trimestres/an ;
4) calcul du revenu de référence sur la base des 10 meilleures années, au lieu des 25 actuellement.
Proposition déter (niveau difficile)
1) suppression de l’IRCEC ;
2) suppression des critères de validation du trimestre ;
3) pension dès 50 ans garantie pour tou·tes les artistes ;
4) calcul du revenu de référence sur la base des 6 meilleurs mois.