Bulletin de crise : le speech du président

06/05/2020

cotisations sociales
Pendant le premier confinement, La Buse a publié plusieurs bulletins de crise sur les réseaux sociaux. En voici un.

L'exonération de cotisations : la plus mauvaise des mauvaises solutions.

Emmanuel Macron vient d’annoncer des mesures d’urgence pour les artistes-auteur⋅es. Elles n’ont évidemment rien de neuf. En revanche, une concession apparente dissimule un véritable recul : l’exonération de cotisations sociales pour une durée de 4 mois.

1) Qu’est-ce que la cotisation ?

Les cotisations sociales opèrent la mutualisation d’une part de la valeur produite par le travail dans les caisses du régime général de la Sécurité sociale et de l’assurance chômage.
Elles alimentent ces caisses, en particulier celles de l’assurance maladie qui finance l’hôpital public.
Les cotisations constituent ce qu’on appelle du « salaire socialisé », une ressource qui assure le remboursement des soins, qui paye les fonctionnaires hospitalier⋅es, qui finance la pension des retraité⋅es et l’indemnité des chômeur⋅ses.
Grâce à cet outil, la valeur que nous produisons n’est pas entièrement transformée en profits, mais mise en commun pour financer des services publics et de la protection sociale.
Les cotisations au régime général sont issues des luttes (ce qui n’est pas le cas de toutes les cotisations. Les cotisations aux régimes de retraite complémentaire – Ircec pour les artistes-auteur⋅es, Agirc-Arcco pour les intermittent⋅es, etc. – sont plutôt d’origine patronale).

2) C’est vraiment embêtant, cette exonération ?

Les fonctions de la cotisation (socialisation de la valeur, contestation du profit, développement de la protection sociale) sont mises en cause depuis près de trente-cinq ans.
Pendant son quinquennat, Nicolas Sarkozy faisait le tour des secteurs en difficulté pour accorder des baisses de « charges », reprenant ainsi une rhétorique typiquement patronale.
Il ne proposait pas aux entreprises et aux secteurs en difficulté de réguler le marché, d’encadrer le travail, de limiter le pouvoir des actionnaires et des prêteurs, encore moins d’améliorer la protection sociale des travailleurs employé⋅es ou indépendant⋅es, mais de supprimer les cotisations en échange d’une hypothétique augmentation de leur rémunération nette.
Emmanuel Macron a continué sur cette lancée en supprimant les parts dites salariales de la cotisation maladie et de la cotisation chômage, et en baissant les cotisations patronales.
Les conséquences de ces politiques publiques sont immédiates : l’accès à l’assurance chômage se resserre, la retraite est sur le point d’être brisée et l’hôpital public est asphyxié, sans autre choix que de répondre à l’afflux des malades du Covid en sacrifiant la santé des soignant⋅es.
Toute décision politique portant sur des exonérations de cotisations a de lourdes conséquences.

3) Peut-être, mais en période de crise, beaucoup de travailleur⋅ses de l’art indépendant⋅es n’ont pas les moyens de les payer !

Bien entendu. Pour les travailleur⋅ses indépendant⋅es (artisan⋅es, artistes-auteur⋅es, micro-entrepreneur⋅ses, etc.), la situation est sensiblement différente : dans leur cas, les cotisations ne sont pas prélevées sur la valeur ajoutée d’un commanditaire ou d’un employeur, mais versées à partir de leur chiffre d'affaires. Chaque indépendant⋅es doit ainsi « débloquer » ses droits en cotisant une part de ses revenus.
Quand on est à dix euros près, ça compte.

4) Alors que faire ?

D’abord, sortir du logiciel libéral qui assimile les cotisations à des charges et qui ne soulage les travailleur⋅ses qu’au détriment des institutions qui les protègent de la violence du marché.
Ensuite, faire la liste des mesures qu’il aurait fallu prendre.

Citons les revendications formulées par le SNAPcgt :
• versement d’une indemnité mensuelle comprise entre 1 et 3 SMIC pour tou⋅tes les artistes-auteur⋅es.
• prise en charge des cotisations par l’État avec maintien des droits.

Essayons également de voir plus loin :
• amélioration significative de la Sécurité sociale des artistes auteurs (abaissement des seuils pour bénéficier des indemnités maladie et des indemnités maternité/paternité, ouverture de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, etc.)
• rémunération des activités accessoires et des prestations de service en cachets, c’est-à-dire en salaire, afin que les cotisations sociales soient assumées non plus par les travailleur⋅ses de l’art, mais par les diffuseurs et les entreprises culturelles (ce qui suppose de refonder l’économie de l’art et la fiscalité pour soutenir les structures légères ou fragilisées et faire payer les diffuseurs et les entreprises les plus puissants).
• mise en route d’un chantier pour étendre l’assurance chômage aux artistes-auteur⋅es ainsi qu’à tou⋅tes les travailleur⋅ses de l’art indépendant⋅es (commissaires d’exposition, critiques d’art, installateur⋅rices d’œuvres d’art, etc.)

Rien de tout cela ne sera fait sous la présidence d’Emmanuel Macron.
Avec cette exonération de cotisations, le gouvernement nous soulage de quelques centaines d’euros à court terme (ou de quelques dizaines d'euros, vu le niveau de nos revenus...), mais rejette l’hypothèse d’une amélioration de notre condition.
Il compromet notre sécurité sociale déjà maigrichonne et nous promet des lendemains encore plus difficiles.
Le modèle, nous a dit le président de la République à la fin de sa déclaration, c’est Robinson⋅ne : quelqu’un⋅e qui échoue sur une île, qui récupère tout ce qu’il⋅elle peut dans la cale et qui se démerde tout⋅e seul⋅e.
Le message est on ne peut plus clair !